Tuesday, November 29, 2005

DEODATO. DEODANTESQUE. DEODATISME.


«L'Éternel dit aux esprits des pays qu’il venait de créer : « Vous sortirez en sens inversé ; le dernier d’abord ». L’esprit du Brésil se retrouva ainsi parmi ceux qui fermaient la marche. D’un signe poli l’Eternel fit comprendre à Michel-Ange qu’il interrompait la pause. Ayant rejoint l’esprit du Brésil il lui glissa quelque chose de minuscule avec un clin d’œil. Le Brésil marqua le coup et ferma la main. Comme quelques esprits regardaient l’Eternel d’un œil étonné, ce dernier tapa sur l’épaule du Brésil et parla pour être entendu : « Vous étiez sur le point de l’oublier, mon ami ». Cela eut pour effet de rassurer tout le monde.

Une fois rendu à sa place sur terre, le Brésil ouvrit la main et vit une petite pierre blanc-lisse et striée de fines raies encore plus blanches. Il regarda de plus près et lut «Saudade ». Il ne comprenait pas, il lut le mot à haute voix afin d’en saisir le sens. S A U DA DE. Il sentit aussitôt un vague à l’âme profond, violent désespéré l’envahir. Il se sentit sur le point de pleurer, il cligna les paupières pour faire sortir les premières larmes, mais rien ne coula. Il ouvrit la bouche pour hurler tant il se sentait oppressé, aucun son ne sortit. Alors le Brésil se mit à gémir de ne pouvoir pleurer. C’est là que venant du creux de sa main une voix lui dit: « Ne pleure pas. Je sais quoi faire.. Rapproche-moi de ton oreille ». L’esprit du Brésil obéit et il entendit : « Tempinho Bom ». Le Brésil sourit en regardant la pierre.

Elle lui dit : «C’est un de tes enfants, un don de Dieu. Ses yeux seront mélancoliques et son nom DEODATO. Eumir DEODATO. Il t’écrira des morceaux qui te feront sourire, rire, chanter et danser... Il soutiendra le travail des plus grands de ce monde. Dans toutes les couleurs de musique. Tu n’auras pas que lui. Tu auras plein plein plein d’enfants qui te feront danser. Mais attention, si tu m’enlèves de ton oreille, c’est fini : tu ne seras que larmes ou sanglots. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut me supporter moi SAUDADE, en chantant et dansant. Autrement tu pleureras à en mourir ».

L'esprit du Brésil avait entendu pour l’essentiel mais il était si occupé à danser qu’il n’entendit pas la SAUDADE ajouter : « La terre entière ne te verra qu’ainsi, chanter et danser. On ne comprendra jamais que tu puisses être mélancolique, souffrir de dépression, de spasmophilie. Même lorsque ce sera du plus grand chic d’être triste toi tu devras chanter et danser parce qu’on ne te croira pas si tu dis « Moi, Brésil par moment je suis un peu triste ». Ils riront croyant à une bonne blague, et te diront : Allez Brésil arrête, tu charries, sacré Brésil va, tu es toujours gai on le sait. Allez sois sympa fais-nous danser. Nous avons besoin de toi Brésil allez fais-nous rêver. » Et devant leur insistance, devant leur détresse, tu oublieras la tienne, tu leur donneras de la musique et de la danse. Pour l’éternité Brésil. L’éternité. Mais le Brésil dansait déjà pour Deodato. Il n’entendait pas SAUDADE….. » Mag Cartier


(Paris, 2001) En cherchant sur le Net la musique de Deodato, Geer était tombée de click en click sur une photo de ce dernier sur le site de Martin Cohen. –www.congahead.com-. Deodato était ce monsieur au regard vague et mélancolique dont Cohen enlaçait le cou. Geer se demanda si c’était de la quiétude ou de la tristesse dans ses yeux. Ce regard semblait bon. A moins que détaché. I l avait perdu l’expression « Rattrape-moi si tu peux » des années 70.

1964 : Ses souvenirs de l’orgue Hammond que jouait Deodato remontent justement à ses six ans. Les accords de cet « homme-faisant-de-la-musique » s’installèrent sous sa peau, partie prenante de son sang au même titre que les globules. Une numération complète aurait mis à jour toute la déodatine déjà contenue dans son sang.

Elle ne savait pas qui jouait, ni ce qu’on jouait. Elle sentait juste la nécessité d’être immobile afin de suivre le trajet de ces accords sous sa peau, et dans son âme. Une impression de déjà vécu l’envahissait alors. Quand on a 6, 7, 8 ans, on ne sait pas toujours nommer les choses, mais cette incapacité temporaire est remplacée par l’acuité et la précision de la sensation. Ce n’était pas l’orgue lui-même, ni le rythme, ni les mélodies, ni les accords, c’était leur alliance. Cet orgue-là à travers ces mélodies-là, ces accords-là….

Elle ressentait cette étrange émotion qu’elle identifia plus tard : la nostalgie. De quoi peut-on bien être nostalgique à cet âge? Elle sentait que jamais elle n’oublierait ces instants de l’enfance, irisés de cette couleur étrange que lui donnait les accords de cet orgue. Geer reprenait sa marelle sur les pavés du jardin et atterrissait sur le….ciel.

Cet « homme-faisant-de-la-musique » n’a pas de note simple, tout est relief et profondeur. Ce qui semble une note est en fait la crête d’un iceberg de sons qu’une oreille non initiée ne peut saisir. Deodato ne s’appesantit pas sur un motif. Il change à la troisième voire carrément la deuxième fois plutôt et propose tout de suite autre chose. Deodato fait pleurer…. de tant de joie. Car la mélodie est gaie chez Deodato, même jouée par des accords mélancoliques. L’émotion avec Deodato s’apparente à de la grâce.

Les accords de Deodato contiennent un hymne au jour nouveau, la rosée du matin et celle du soir, le chant des grillons, celui des anolis, le soleil à travers les branches, le bateau qui glisse sur la mer, les perles de l’eau sur la peau, le rire et la joie de l’enfance. Geer imaginait souvent une kyrielle d’anges se disputant gaiement pour proposer leurs accords à cet « homme-faisant-de-la-musique ».

Certains compositeurs nous donnent le vertige mais nous les écoutons, recueillis pieusement. Enlevés, c’est le mot. Deodato nous enlève aussi pour nous faire danser et rire de tant danser. Parce qu’on ne peut se retenir de rire devant tant de notes, authentiques bulles d’allégresse qui taquinent tout ce que nous avons de sens. Deodato joue dans le sens de « s’amuser » avec la musique. Pourtant on peut l’écouter si on considère cela comme le sceau d’une certaine qualité. Du reste une musique que l’on écoute est-elle de ce fait supérieure à une autre que l’on danse ? Le plaisir, le transport, la jouissance en sont-ils différents ? Jouissons-nous de façon cloisonnée ? C’est selon, encore une fois, comme pour tout…..

Geer avait retrouvé Deodato, la musique de Deodato, à un moment où l’on entend différemment les choses. Vingt années plus tôt elle n’avait pas entendu la quintessence amenée par le violon dans Moonlight Serenade. A 1'32 on entend les violons monter monter. (ils ne partiront plus vraiment). Les autres montent aussi, forte pour tout le monde. Pendant 12 secondes (un siècle de délectation) tous les instruments sont à leur paroxysme. Tendant tous vers un but que leur bras trop courts semblent ne pouvoir atteindre. Le piano s’envole tout le monde le suit. Une explosion « de sons d’artifice » que l’on renonce à suivre en même temps. 12 secondes de lévitation. C’est fait à 3'27 le piano éclate, carillonne un accord suspendu, rond et creux qui résonne dans les tempes, le cœur et le ventre. Aaah ! Deodato lui déchire le foie. Ah ! Vous ne comprendriez pas ! Sourire.

Elle préférait être seule pour écouter la musique de cet homme. Tout comme elle aimait regardr seule un tableau de Schmidt-Rottluff. Il est de ces expressions que nul ne doit surprendre sur votre visage.

Elle appelait générosité, cette façon pour un instrument leader d’accompagner les autres plus souvent qu’à son tour. Le piano de Deodato restait en second plan ou encore collait à la batterie. Qui d’ailleurs le suit pas à pas. Cela lui donne une autorité sublime. D’autres fois le piano s’auto accompagne comme sa propre boîte à rythme. I l n’y a pas de place pour le vide. Ce qui n’a rien à voir avec le silence entre les différents mouvements d’un morceau classique.

Trombone et trompette. Ceux de O Som Dos Catedraticos. Geer se souvenait qu’enfant elle allait au cinéma avec son frère. C’était un cinéma de quartier, en plein air, tenu par un voisin amis des parents. M. Desmangles prenait sans doute son travail pour un sacerdoce, car les bancs –en béton à cause de la pluie toujours possible- étaient souvent vides. Geer se rappelait avoir vu beaucoup de films seule avec Johnjohn son frère et Marie-Carmelle qui nous gardait. Au cinéma du Canapé-Vert, M. Desmangles, passait la musique
de Eumir Deodato. Geer écoutait avec un étrange plaisir que le film venait hélas interrompre.

Il faut être deux pour être intelligents ou bêtes, deux pour rire ou pleurer, pour être bons ou mauvais, bref deux pour exister. Nous ne sommes rien, nous ne "sommes" pas sans l’autre en face. Les autres dont Deodato s’entourent sont bons et lui, et font ressortir son génie.

On œuvre à tous les niveaux pour le bien de l’humanité. Le clavier, comme les éprouvettes à l’instar des chiffres, des formules et des concepts théoriques peut contribuer à l’évolution de l’espèce vers des niveaux supérieurs. Le pouvoir guérisseur de la musique d’Eumir Deodato sur Geer était énorme. Quand Geer a un peu le blues, elle écoute Deodato. Cette musique convient à tous les états
d’âme.

1974 : C’était l’adolescence, c’était aussi l’émission « From 10 to 11 » d’Herby Widmaier sur Radio Métropole. Herby passait Deodato (Adam's Hotel entre autres) tous les soirs. Et aussi Bob James, Egberto Gismonti, Freddy Hubbard, Hubert Law, Stanley Turrentine, Grover Washington, Billy Cobham, Herbie Hancock, Ramsey Lewis, George Benson, Maynard Fergusson etc. Il n’y avait que des grosses pointures. Pour Geer Deodato dominait de plusieurs coudées. Mais ce texte lui-même est une affaire d’affect, personnelle. De l’ordre des tripes, même....Da da da da....

Geer ne solfie pas, elle ne fonctionne qu’à l’oreille. Plutôt bonne dixit sa prof de chant. Elle ne connaît pas le titre de ce morceau, qu’elle n’arrive pas à trouver, ni sur feu Napster, ni sur KaZaA. Pourtant cela fait vingt ans qu’elle le fredonne. Vingt-fois par jour. Cet air est la toile de fond de sa pensée. Quand elle ne dit rien, ne pense rien, ne chante rien, Geer le chante lui cet air: Dadadada, dadadada, dadadada.

Geer imagine un promeneur, son chien gambade devant lui, la forêt est aussi paisible et muette que l’homme est serein. C’est le crépuscule. Avec Deodato même en plein midi c’est toujours le crépuscule. Avec Geer surtout. La fin du jour est femme comme dit le poète.

La musique de Deodato est sexuée, complète. Elle n’est en chemin de quoi que ce soit. Elle est rendue, « to the point » dans son essence même. Cet homme-faisant-de-la-musique affiche un toucher lumineux, enjoué, drôle, instinctif, dominateur, émouvant, affûté, sentimental. Rien à voir avec la docilité tiède et charmeuse de certains. No legato hanging around. For Chris sake there must me somebody playing ! Well it’s obviously a man. Deodato est flux, cascade, cours naturel. Comme la rivière coule, la pluie tombe, les saisons passent, l’oiseau chante, le feu brûle. Cet homme-faisant-de-la-musique le fait par (la) nature. Ses accords sont en place sur la terre comme au ciel. Avec son oreille de profane Geer entendait une note dans une autre puis une autre dans la précédente et encore une autre. Les mélodies de cet homme sonnent pareilles à des cloches. Suspendues très haut, très loin derrière la tête.

Le Souffle de la musique a probablement présidé la naissance de Deodato. Ils sont quelques-uns pour lesquels il se donne cette peine. C’est l’explication que Geer avait trouvé lorsque la quantité ne nuit pas à la qualité. Comme c’est le cas ici. La flûte de la fin d’Amani. La vive et amicale discussion des notes à la fin de Speak low.(méconnaissable le morceau!) Qu’on les apprécie ou les ignore, même ses compositions disco sonnent bien. Extraordinairement positionnées. Le fait est que Deodato excelle dans tous les genres. Deodato déguste toutes les musiques et les remodèle avec un zeste de Brésil. Rien de très accentué. Une musique interprétée par Deodato s'en retrouve réinventée. Elle est de son crû. Geer voulait que le monde entier admette le bien fondé de son amour pour la musique de Deodato… Pour le plus grand bien de l’espèce bien sûr.

Notes et accords traduisent plus ou moins l’ambiance, l’atmosphère, la couleur dont nous voulons recouvrir l’instant. Dans Spirit of Summer on entend au loin jouer des enfants, au piano sa sœur interprète Try to remember when, (oh yes life becomes tender at once, each time I listen Spirit of Summer) le pilon broie les épices…. Kop Kop Kop Kop, un peu le même son que les claves. Les claves peuvent faire kopkokop kum kokokop kum kopkokop kum kokokop sans varier pendant toute la durée d’un morceau. Mais n’allez surtout pas les enlever elles sont aussi indispensables que modestes. Comme les pierres du Petit Poucet, elles sont le repère des musiciens.

Elle regarde les papillons de la Saint-Jean qui voltigent sur l’hibiscus. Les voitures passent derrière l’épaisse haie de bambous. Le goudron fondu par le soleil chante sous leurs roues. Chui, chui, chui, chui. Il fait chaud. Les gens roulent vite vers les plages. Les papillons sont de couleurs différentes, jaune, rouge, violet. Les notes multicolores volètent elles aussi. Il arrive qu’un papillon fasse triste, mais plusieurs papillons font un spectacle joyeux pour une petite fille. Spirit of Summer évoque l’été sous toutes les latitudes.

Les compositions de Deodato sont des purs tableaux, des romans en une seule page. La communion des deux Soul Mates est rendue avec puissance et justesse. C’est un exercice apparemment facile pour un professionnel. Ce qui est d’un domaine autrement élevé c’est d’atteindre la crédibilité et de toucher la sensibilité, l’âme de celui qui écoute. D'ailleurs le piano de Deodato possède un son à lui seul commun. On pourrait dire que les touches de l'instrument sont pleines d'un liquide dont la couleur détermine le son, par octave: huit jaune, huit rouge, bleu etc... Tout ceci est du domaine du rêve bien sûr et du parti pris. Mais il n’y a pas pire qu’une âme pour être de parti pris. Et ça nulle raison n’y peut rien.

Sur le quai, où l’on prend le train A - Take the A train-, un homme claudique. Le rythme de sa démarche d'infirme est imbriqué dans celui du train. Danse et cadence.

Elle imagine un Robinson sans Crusoe, étendu sur le sable de Love Island. (Oh ne vous en faîtes pas, son Boston-Whaler mouille un peu plus loin, plein d’essence). Etendu sur le sable, les bras soutenant sa nuque il suit des yeux l’envol des oiseaux dans le couchant… Le ciel vire au rose orangé et les arbres sont déjà noirs. Il pense ? Même pas. Tout comme le Suprême quelques temps avant lui, il voit que tout cela est bien. C’est l’été. C'est un long crépuscule d’été.

Certains arrivent à saisir leur Ego, ils marchent alors tous deux d’un même pas. Et en accord avec leur nature personnelle ils fabriquent des merveilles qui font avancer la vie. Ils la font sourire et danser et rire. Ils savent que rien ne vaut la joie. Deodato, Eumir Deodato fait partie de ceux-là. Ou alors sa musique. Mais est-on identifiable à son travail, son art, sa création, sa production ? La réponse est dans le choix que vous faîtes du mot qui désigne rendre ce que vous avez reçu, votre collaboration charitable -et civique- à l’œuvre humaine.

Quand elle (re)écoute Deodato parce que deux jambes ne suffisent pas pour danser cette avalanche de notes , ces bulles multicolores de sons qui éclatent en même temps, Geer se met à tourner en rond sur elle-même. Véritable derviche, prêtresse vierge aux seins durs, elle danse pour remercier -au nom de l’humanité- d’avoir reçu cette grâce donnée par Dieu - the Merciful One- et si bien nommée : DEO - DATO. DEO GRATIAS.

Mag MagCartier
"You Can Go" written by Joao Donato, and "arranged" by Deodato. In all simplicity.

Mag Cartier
Paris, 5 Décembre 2002

Tout se trouve sur les différents arbres à musique du Net, payant ou gratuit
En tapant Eumir Deodato, vous trouverez ce qu'il faut à votre bonheur.

Merci de m'avoir lue. Merci pour Eumir Deodato. Merci à la Vie.

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